Ichigo ichie, savourer l’éphémère - Psychologies.com (2024)

Flavia Mazelin Salvi

Publié le 06/08/2019 à 17:09 Modifié le 03/11/2023 à 11:59

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Crédit photo : iStock

Unique, magique, vibrant, tel est l’instant. Le vivre pleinement, conscients de sa fugacité, nous rend plus vivants, expliquent Héctor Garcia et Francesc Miralles. Ils ont développé la philosophie de l’ichigo ichie, inspirée de la tradition zen.

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Faire zazen

Ou simplement s’asseoir et observer ce qui se passe

Quand notre mental est en surchauffe, quand nos émotions tourbillonnent, brouillent notre vision et notre perception de la réalité, la tradition zen préconise de faire halte, de suspendre les mouvements de notre corps pour dissiper l’agitation de notre esprit. Assis et immobiles, nous nous transformons en spectateurs de ce qui est ici et maintenant, ce qui a pour effet immédiat de mettre fin à nos projections dans le futur ou à nos ruminations sur le passé. Rendus à nous-mêmes, délestés des parasites et des illusions, nous pouvons habiter pleinement notre corps et notre esprit, et être totalement présents à ce moment qui ne sera jamais plus. S’il est agréable, cet arrêt sur image nous permettra d’en intensifier le plaisir; s’il est pénible, le calme du corps et de l’esprit nous permettra de choisir la réponse la plus pertinente à lui apporter.

Pratiquer le mono no aware

Ou chérir le moment présent parce que c’est le dernier

Ce coucher de soleil avec ces personnes que nous aimons, avec ces mots, ces gestes, nous ne le vivrons dans ces conditions précises qu’une fois. C’est en ce sens que chaque instant de notre vie est à la fois le premier et le dernier. Nous ne pouvons certes pas en avoir conscience en permanence. Mais si, de temps en temps, nous déposons, dans la joie de l’instant, une goutte de «jamais plus comme cela» ou de «combien de fois encore?», nous comprendrons avec notre cœur, nos sens, que le moment que nous sommes en train de vivre est précieux parce qu’il est unique. C’est le nuage de douce mélancolie et de nostalgie anticipée, dans le ciel bleu du plaisir, qui augmente sa valeur en intensifiant sa saveur. Il existe une expression japonaise pour décrire cela: mono no aware (le pathos des choses), que l’on pourrait traduire par la «souffrance-plaisir existentielle du jamais plus». La formule a été utilisée pour la première fois au XVIIIe siècle par Motoori Norinaga, pour décrire l’état d’esprit général du peuple japonais. Cet érudit a forgé le concept à partir de deux phrases du roman épique Heike Monogatari, écrit en 1330. «Le son de la cloche de Gion rend l’écho de l’impermanence de tout ce qui existe. […] Les orgueilleux ne subsistent guère longtemps, ils sont comme le songe d’une nuit de printemps.»

Créer son chanoyu

Ou s’offrir sa propre cérémonie du thé avec sa famille ou ses amis

Le chanoyu, ou la «voie du thé», est également un art de l’attention, un rituel de la concentration, qui célèbre le moment présent en convoquant nos cinq sens.

Le pratiquer selon la tradition demanderait des années d’apprentissage, il s’agit ici de s’en inspirer pour goûter à la joie du partage et de la perfection de l’instant. Héctor Garcia et Francesc Miralles proposent quelques «règles d’étiquette pour une version libre du chanoyu»:

– Le lieu de rencontre doit inviter au calme (pas de bruits de fond, pas trop de distractions visuelles).

– Il faudra se saluer en se disant «ichigo ichie», pour se rappeler que l’on va vivre un moment qui ne se répétera jamais.

– Au cours de la cérémonie, on laissera de l’espace pour le silence, sans s’obstiner à vouloir combler les blancs.

Lors des échanges, on évitera les thèmes qui peuvent être polémiques, désagréables ou stressants. Avec ses convives, on abordera des sujets qui font se sentir bien: des commentaires sur la singularité du lieu, la qualité du thé ou la beauté de la vaisselle, des souvenirs communs plaisants…

Une écoute attentive est indispensable pour que chacun se sente partie intégrante de la cérémonie.

– À la fin du chanoyu, on se quittera avec un «ichigo ichie», pour se rappeler que l’on vient de vivre un moment unique, qui ne se reproduira plus de la même manière et qui, par là même, mérite d’être gravé dans notre cœur.

On peut aussi s’offrir un chanoyu à soi-même, précisent les auteurs.

Oser le kaika

Ou s’ouvrir à l’inconnu, à la nouveauté

Bunmei kaika est l’expression qui désigne, au XIXe siècle, l’ouverture du Japon à l’Occident pour transformer le pays et mettre fin notamment aux pratiques féodales ancestrales. Dans le langage fonctionnel de l’entreprise, on dirait aujourd’hui: «Sortir de sa zone de confort.» En expérimentant la nouveauté, on ressent de nouvelles sensations, de nouvelles émotions; on élabore de nouvelles idées, de nouvelles solutions. De telles expériences sont ichigo ichie, elles ont la fraîcheur et la saveur intense et éphémère des premières fois. Elles enrichissent notre patrimoine émotionnel, sensoriel et intellectuel, et intensifient notre sentiment d’exister.

Savourer le satori

Ou comment se connecter avec sa véritable nature en un éclair

Satori signifie littéralement «compréhension». Le zen utilise ce terme pour désigner un état d’éveil. «Dans le zen, on considère que l’on atteint le satori quand le présent s’empare de tout notre être, convertissant le passé et le futur en pure illusion.» Cet état peut arriver de manière étonnante et inattendue. Il peut se produire devant une œuvre d’art, un paysage, pendant une activité qui nous absorbe tout entier (méditer, peindre, faire l’amour, écouter de la musique…), en entendant un mot, une phrase qui produisent un déclic. À un moment donné, quelque chose en nous s’ouvre, une compréhension nouvelle de soi, du monde, de la vie nous apparaît comme une évidence foudroyante. Si tout le monde ne vit pas une révélation mystique, nous pouvons tous vivre une expérience d’éveil à soi-même, un moment fugace et intense qui nous fait entrevoir au-delà des apparences et des limites. Pour le saisir, le favoriser: être le plus possible attentif et réceptif au moment présent.

Traquer les ennemis de l’ichigo ichie

Ou comment identifier les empêcheurs de jouir de la vie

– Les projections et les ruminations: elles nous délogent du présent en nous envoyant dans le futur ou le passé.

– Les distractions: les écrans, le «multitâchisme», tout ce qui nous dédouble ou dissocie notre corps de notre esprit.

– La fatigue: le manque de sommeil, un excès de travail, des soucis laissés en jachère… Autant de brouilleurs de conscience.

– L’impatience: la hâte de passer à autre chose, cousine de la projection, nous fait passer à côté du seul vrai moment de réalité, celui qui est en train de se dérouler, ici et maintenant.

– La suranalyse: couper les cheveux en quatre, chercher tout le temps et partout le pourquoi du comment, disséquer ses moindres faits et gestes… Le mental en surchauffe nous fait passer en mode hors sol, hors temps, et nous prive des plaisirs simples de la vie.

Pour aller plus loin

À lire

Fais de chaque instant le meilleur de ta vie d’Héctor Garcia et Francesc Miralles (Solar éditions).

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Author: Allyn Kozey

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